
J'ai écrit cette nouvelle en 1991, au chevet de notre fille qui, toutes les nuits, nous réveillait au moins 3 fois, si pas davantage… Nous vivions alors dans le fond de la Belgique, en pleine Thudinie, entourés de grosses fermes. J'avais déjà écrit les récits sur l'exil éternel, et bientôt j'aurais l'idée de combiner Maramisa à ces récits…
La nouvelle a été publiée dans le recueil Légendes en attente, publié aux éditions de l'Instant Même (Québec) en 1993.
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Mercredi 6 juin 19**, Maramisa
Mon amour,
aujourd’hui, mon bateau est enfin arrivé à Maramisa, ultime étape d’une traversée de plus d’un mois, et de plus d’une tempête. Puérilement, en découvrant le quai, ses badauds, ses dockers bariolés, j’ai pensé au nombre incalculable de gouttes qui s’écoulent, impassibles, entre nous, et je me faisais des phrases étouffantes de banal lyrisme sur la communion qui s’établissait malgré cela entre nos âmes. Mais quand la coque a frotté contre la berge, quand la passerelle, semblant obéir au long et grave sifflement des sirènes, nous a reliés à la terre ferme, j’ai balayé les phrases et leur insupportable littérature de gimauve : nous sommes loin l’un de l’autre, et il faut laisser à ces mots leur simple rugosité pour en conserver la dure brutalité.
Pourquoi, en plus de mon amour pour toi et pour nos deux enfants, suis-je habité par cette autre passion dont j’ai fait ma profession, et dont les réalités exigent que je ne puisse toujours l’exercer à vos côtés ? Nous nous sommes souvent posé la question, quand bien même nous n’en avons que rarement discuté ensemble. Nous le savions avant de nous marier, et jusqu’à ce jour, je pense que nous avons su ménager un juste équilibre — si tant est que ces deux derniers mots ne soient pas fondamentalement contradictoires. D’autant que, te rencontrant, j’avais laissé glisser mes rêves des Égyptes mythiques vers nos régions, plus prosaïques peut-être, mais qui avaient aussi plus à offrir que ces déserts depuis trop longtemps, et par trop de mains profanés. Et je me pris de passion pour ces fermes énormes, derniers vestiges des domaines abbatiaux disparus, bâties sur des ruines romaines surmontant à leur tour des fragments gaulois, chapes des poussières préhistoriques. Après avoir rêvé aux dieux et les avoir traqués sur les traces des Archéologues devenus non moins légendaires que leurs fouilles, je découvrais les hommes qui nous avaient précédés sur ces terres où ton amour m’appelait.
Sur le quai, André m’attendait. Il m’a de suite conduit au chantier. Il semblait très excité. Ce chantier de fouilles doit être particulièrement riche. « Depuis les pyramides, je crois qu’on n’a pas fait de découverte plus importante ! Ces temples, ces demeures royales… Tu verras… Quels trésors ! De surcroît, une civilisation totalement inconnue ! » C’est ce qu’il m’avait déjà écrit, pour me convaincre de vous quitter et de le rejoindre aux confins de l’Asie. Il savait pourtant, pour connaître les travaux que je publiais depuis dix ans, que les rois et leurs temples ne m’intéressaient guère. C’est pourquoi, malgré les raisons que j’aurais pu avoir à trouver captivante une telle découverte et flatteur le privilège d’y être associé, il avait avancé l’argument qui convenait : aux côtés de la Cité Royale, on avait mis au jour les vestiges d’une énorme nécropole, mêlés à ceux d’une cité pauvre, avec cette étonnante particularité que chaque masure était jouxtée du caveau familial. Mes centres d’intérêts et mes compétences faisaient de moi, m’écrivit-il, le spécialiste que réclamait cette partie du chantier.
Il faut ajouter qu’attirés par les bijoux, le faste, son or et ses cadavres embaumés, peu de nos collègues étaient prêts à s’occuper de cette misère, reproduisant ainsi sur le dos d’une civilisation morte les réflexes qui gèrent la nôtre.
Pendant le trajet — trois heures de chemins infects —, André m’a dressé un inventaire détaillé de leurs travaux. Cela doit être extraordinaire, mais je ne pense pas l’avoir convaincu quand j’ai prétexté la fatigue du voyage pour expliquer mon manque d’enthousiasme. « Je n’ai pas grand-chose à te dire sur ton chantier. Quand l’équipe a su que tu acceptais de le prendre en charge, elle n’y a plus touché, pour te laisser mener tes recherches à ta guise. » Je lui alors demandé de quels moyens, en hommes et en matériel, je disposerais. Ma question était embarrassante, mais elle ne faisait qu’anticiper une mise au point qu’il aurait, tôt ou tard, dû faire. Elle ne me surprit pas outre mesure. « Le gouvernement local, qui assume tous les frais, ne semble pas très… intéressé par cette partie du chantier… Il nous presse d’achever le plus vite possible les fouilles et la restauration de la Cité Royale ; tu comprends, pour eux, il s’agit d’une affaire nationale, et aucune nation n’entend tirer gloire du passé de ses esclaves et de ses parias… »
Je n’aurai donc pour m’aider que deux ou trois hommes, et des outils rudimentaires. J’ai consolé André en lui affirmant que cela convenait parfaitement à mon tempérament et à ma façon d’agir. J’ai une étrange appréhension face à ce chantier ; la fascination du quotidien, plutôt que de l’extraordinaire. Je préfère ne pas y mêler la foule.
Tu sais pourtant que je ne fais pas de l’archéologie marxisante. Sans doute devines-tu que j’attends de ces fouilles l’issue du combat que je mène depuis tant d’années contre mon dégoût de la mort — dégoût teinté d’attirance, cette attirance morbide pour les cadavres nus, sans bijoux ni baumes, qui semblent celer, dans le vide inquiétant de leurs chairs dissipées, le secret de mon combat, la clé d’une sérénité dont la recherche et l’espérance sont, depuis si longtemps, ma plus grande angoisse.
Au camp, un genre de réception nous attendait pour célébrer mon arrivée. De jeunes assistants se pressèrent pour contempler et saluer cette vedette que je suis devenu malgré moi, et mes éminents collègues m’accueillirent avec cette chaleur glacée et condescendante qu’ils ont pour une renommée acquise malgré eux, dans un domaine qu’ils méprisent.
Tu vois, même sur les vestiges des plus brillantes civilisations, on ne peut éviter ces gens que nous détestons autant l’un que l’autre. Plus la charogne brille, plus orgueilleux sont les vautours qui s’en repaissent.
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Samedi 9 juin 19**, Maramisa, champ de fouilles B, Nécropole
Mon amour,
trois jours déjà — ou seulement… Comment te décrirais-je ce qui m’entoure ? Le paysage — car malgré mes préoccupations, je ne peux l’ignorer totalement —, ne ressemble à aucun de ceux que nous avons admirés ensemble. Pourrais-tu t’imaginer une densité de verdure proche de celle de la jungle, mêlée à une sécheresse digne du désert ? Est-ce mon imagination qui outre à ce point le contraste, ou ce dernier provient-il davantage de celui, bien réel, qu’offre cette société que je découvre, et ses rites étranges ?
La ville et la nécropole — il faut se faire à l’idée qu’ici, il n’est pas possible de faire la distinction, de tracer une frontière pour y ériger le mur d’un cimetière — s’étendent sur une plaine sèche et rocailleuse, énorme clairière dans laquelle la forêt avoisinante n’a osé que quelques intrusions isolées, malgré le temps. Tout autour, des arbres, des plantes énormes, mais pas la moindre fleur bien que ce soit la saison. Les feuilles sont d’un vert très foncé, parfois presque brun, et rugueuses à caresser. Certaines s’effritent sitôt qu’on les touche. Les troncs sont tellement secs et noueux que l’on imagine qu’à grand-peine comment la sève y trouve sa voie. Toute cette végétation qui encercle la ville ressemble à une armée farouche, figée dans une posture d’assaut, dans un siège jamais résolu.
Face à ce champ de fouilles, je suis comme un monarque régnant sur un désert ; la cité m’appartient, mais il n’est plus personne pour me glorifier et m’obéir. Pas grand-monde non plus pour m’aider… André ne m’a trouvé que trois ouvriers dont un seul baragouine un peu d’anglais. Pas un de ces assistants empressés à me saluer n’a accepté de me seconder ; ils dépendent de leurs maîtres, et en ont épousé les goûts et les préjugés. Je ne m’en plains pas, au contraire. Je me lève très tôt, pour pouvoir travailler seul, et très souvent, mes trois équipiers restent assis en attendant mes ordres. Ils préfèrent très certainement travailler ici qu’aux ruines glorieuses d’où on entend monter de nombreux bruits et cris, et d’où leurs collègues ressortent exténués. Pour eux, la gloire nationale se limite à l’argent qu’on leur donne à la fin de chaque semaine, et mes ouvriers gagnent autant que les autres…
Je suis allé visiter la Cité Royale — puisque c’est ainsi qu’on la dénomme, en attendant le jour où un Champolion moderne pourra trouver la clé de cette langue et de cette écriture inconnues dont on a retrouvé quelques traces —, et je dois admettre que le spectacle est impressionnant. Cependant, je ne me doutais pas des transformations qui se sont opérées en moi depuis… Face à ces ruines prestigieuses — imagine que la plupart des bâtiments sont pour ainsi dire intacts —, malgré leur importance exceptionnelle tant d’un point de vue culturel et historique qu’artistique, je n’ai pu faire preuve d’un enthousiasme digne de son objet. Les mosaïques royales, d’une finesse incompréhensible pour l’époque que l’on suppose, et dont les couleurs ne semblent pas avoir pâli, ne m’ont pas fait trembler d’émotion, et j’ai bien failli faire trembler de rage le professeur K***, responsable de cette partie des fouilles. Heureusement, je ne me suis pas perdu au point de n’être plus capable de dissimuler. André a tenté de m’impressionner davantage en m’exposant les données historiques et sociales dont ils disposent déjà ; contemporain probablement des plus anciennes dynasties pharaoniques, ce Royaume possédait tout ce qui compose une société de ce type : de l’or, une cour, des intrigants… Inutile de déchiffrer les rares plaquettes pour le savoir : c’est écrit dans l’architecture même de la cité. Victor Hugo a mille fois raisons, quand il explique que l’architecture fut, jusqu’à Guttemberg, le livre où une société inscrivait sa philosophie, sa théologie et son histoire. Celle qui bâtit cette métropole était remarquable de conformité, et c’est ce que tous mes collègues admirent. Toute civilisation est prête à abdiquer l’originalité de ses richesses pour trouver dans le passé la répétition générale de ses erreurs.
La Cité Royale, c’est cette glorieuse et constante banalité du pouvoir et de ses fastes. On n’y trouve rien qui ne se retrouverait dans l’une ou l’autre civilisation, contemporaine ou non. Les noms des dieux changeront sans doute — mais quelque linguiste mettra au jour des racines communes —, et peut-être aussi la manière dont on les vénère ; pourtant, derrière ces divergences d’apparât, se dressent toujours les mêmes vanités, les mêmes craintes, les mêmes ambitions.
C’est cela qui fascine les archéologues et le pouvoir actuel de ce pays — bientôt les journalistes et le monde entier, dès qu’il y aura eu des fuites ou que le gouvernement aura officialisé la découverte. Cependant, j’ai de suite eu la certitude que si cette civilisation avait quelque chose d’exceptionnel, c’était dans ses parias, ses intouchables, dans ces demeures et ces tombes sur lesquelles je me penche.
Des masures, ne demeure que le tracé dans le sol, plus ou moins précis. Elles étaient petites, sans étage ni séparation de pièces, sans confort non plus — ce qui ne saurait étonner. Combien d’êtres y cohabitaient, voilà ce qui est impossible à préciser ; quand on plonge dans la misère, on en détermine rarement les limites. Rien de tout cela, penseras-tu, n’est très étonnant. Par contre, si je te disais que j’ai rapidement pu déterminer combien ces maisons ont pu abriter au maximum d’habitants, tu admettras qu’il y a là une particularité, d’autant que je te parle d’un nombre précis d’habitants n’ayant aucune relation avec l’usure de l’habitation.
Comme je te l’ai dit, chacune d’entre elles a, sur son côté droit, son caveau. D’une certaine façon, les morts cohabitent en permanence avec les vivants — ce qui pourrait laisser supposer des conditions d’hygiène déplorables que seule l’étrangeté du climat a pu éviter. Ces caveaux sont de grands trous, dont les bords sont étançonnés par quelques pierres ou morceaux de bois. Ils ont tous un couvercle de pierre en trois parties, pour en faciliter l’ouverture. À l’intérieur, les corps sont allignés les uns à côté des autres, mais sans que jamais l’un d’entre eux ne recouvre son voisin même de la main. La distance qui sépare les maisons est elle aussi rigoureusement fixée ; toute la cité pauvre pourrait d’ailleurs évoquer le plan d’une ville américaine. Ceci impose donc des dimensions quasi standard aux caveaux, et partant, un nombre maximum de corps. Or, tout prouve qu’aucun ne fut retiré pour laisser place à un autre. Ma première conclusion est donc qu’une maison était assignée à l’hébergement de dix personnes — le nombre de cadavres présents dans toutes les tombes. Après quoi, elle était abandonnée, et sans doute la famille déménageait — ce qui explique la taille énorme de cette cité.
J’ai débuté mes recherches à l’Est de cette vaste clairière, du côté de la Cité Royale. Tout porte à croire que les premières demeures furent bâties ici. J’ai fait ouvrir le plus de caveaux possible — bon nombre se sont effondrés sous le poids de la pierre, et il me faudrait des dizaines d’hommes pour tout déblayer. De ma tente, j’aperçois des dizaines de cavités ocre foncé, au fonds desquelles gisent chaque fois dix squelettes, petits et grands. Quand le soleil se couche, l’ombre de la terre vient les refermer, comme une pierre impalpable.
[…]
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Lundi 18 juin 19**, Maramisa, champ de fouilles B, Nécropole
Mon amour,
aujourd’hui, nous avons reçu la visite d’un ministre quelconque du gouvernement local, accompagné d’un expert de l’UNESCO. Quand je dis “nous”, je devrais préciser ; ces augustes visiteurs n’ont pas mis plus de dix minutes pour se faire une opinion sur mon champ de fouilles. Ne serait-ce ma renommée — c’est la première fois que je m’en félicite —, je ne doute pas qu’ils auraient exigé que l’on abandonne cette partie du chantier. Le ministre m’a quand même demandé pourquoi je ne préférais pas travailler à la Cité Royale. Difficile de ménager à la fois son orgueil national et mes convictions. J’ai fait un gros effort, l’interprète aussi, et le ministre s’est contenté de me prendre pour un original, certes brillant, mais malgré tout un peu idiot.
J’avais raison : les premières habitations se trouvent bien sur la lisière Est. Une semaine m’a suffi pour tracer le plan de la ville et établir la façon dont elle s’est agrandie. Tout s’est construit de la manière la plus rigoureuse : chaque rangée de maisons est venue s’ajouter à l’Ouest de la précédente, ce du Sud au Nord. Au total, j’ai dénombré cent vingt-deux rangées de cent vingt-deux maisons chacune — sauf la dernière, qui n’en comporte que onze. La beauté des chiffres, leur sacrée beauté… À dix habitants par maison, cela donne un total de cent quarante-huit mille huit cent quarante âmes ; mais les trois dernières rangées n’ont pas leurs caveaux pleins, et le dernier de ceux-ci ne compte que cinq corps. J’arrive à cent quarante huit mille quatre cent soixante-douze habitants pour cette cité de morts et de vivants — sous réserve que les tombes que je n’ai pu ouvrir, conformément à ce que je pense, comptent bien dix morts — ; mais sur quelle période ? S’agissait-il au départ d’un petit groupe d’esclaves, agrandissant leur quartier réservé au fil de nombreuses générations, ou d’un important contingent chargé de la construction de la Cité Royale, et dont l’existence devint inutile une fois celle-ci achevée ? Autrement dit, cette étrange ville donnera-t-elle des indications sur la longévité de sa sœur royale, ou seulement sur sa genèse ?
J’ai envoyé au laboratoire des ossements des premiers et des derniers caveaux, afin de répondre, si possible, à cette question. Je ne dispose d’aucun autre indice ; les rares débris d’ustensiles ménagers découverts dans le sol n’indiqueront rien de plus précis. Dans les caveaux, pas le moindre objet. Les morts étaient confiés nus à la terre, sans autre compagnie que celle de leurs proches, morts et vivants.
Ce rite funéraire est tellement particulier, et si différent de celui en rigueur dans la Cité Royale, que je suis convaincu que ceux qui le pratiquaient n’étaient pas du même peuple que leurs maîtres. Il devait s’agir d’une population réduite en esclavage, à moins que les gouvernants n’aient choisi, pour humilier davantage leurs parias, de leur imposer cette coutume étrange, morbide et dishygiénique. La gloire, pour pousser, se nourrit de tous les fumiers.
Ceci n’a rien de drôle, penseras-tu. À quoi cela mènera ? Depuis mon arrivée, je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. Je vais m’y atteler. Mais déjà, je sais que c’est pour moi, et non pour l’Histoire, que je vais chercher.
Je t’aime. Embrasse bien les enfants.
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Mercredi 20 juin 19**, Maramisa, champ de fouilles B, Nécropole
Mon amour,
en recevant ta première lettre, aujourd’hui, je me suis rendu compte combien les miennes s’inquiétaient peu de vous, et combien cette nécropole m’obnubilait déjà. Moi, près de ces morts, et vous, là-bas, ma famille, bien vivante… Heureusement qu’il y a les mots, et les moyens de communiquer avec le lointain, et ses habitants.
Imagine, un de ces morts devant moi, des premières maisons ; s’il s’agit, comme tout le laisse supposer, d’un esclave, qui ait été comme moi père et mari… Arraché à sa famille, éloigné d’elle, à une distance certainement minime par rapport à celle qui me sépare de vous, et pourtant infranchissable… Combien de temps sa douleur, puis sa mémoire se sont-elles maintenues vivantes ; plus ou moins longtemps que son corps ?
Je suis content d’apprendre que les examens des garçons se déroulent bien. Par contre, je ne sais ce qui doit le plus me réjouir : notre aîné qui rêve de suivre la voie de son père, ou le cadet qui s’y refuse farouchement. Des deux, sans doute. Ils changeront encore mille fois d’avis, ils sont jeunes et libres ; les enfants qui gisent dans les caveaux de Maramisa n’ont jamais joui de cette chance — sais-tu qu’ils accordaient à un corps d’enfant la même place qu’à celui d’un adulte ? Le vide que cela crée entre lui et ses voisins d’éternité paraît alors une marque de respect, ou de crainte, ou de dégoût.
Je présume, mon pauvre amour, que tu ne dois guère avoir de temps libre. J’ai peur que tu me répondes que cela t’est nécessaire pour supporter mon absence, parce que je ne pourrais alors que me juger bien égoïste. Depuis que j’ai dégagé la structure de la ville et les caveaux accessibles, je passe plus de temps à méditer qu’à travailler, du moins dans le sens physique du terme. Je n’ai gardé qu’un homme, ce qui a conforté mes collègues qu’il n’y avait rien d’intéressant ici. C’est parfait ainsi : ils ont le chantier royal ; j’en ai la paix.
Je n’ai pas encore reçu les résultats des analyses. Eux seuls, pourtant, seraient capables de m’éclairer. Cette nécropole est la nudité même. Une fois établi son plan et celui, tellement sommaire, d’une de ses maisons, il ne reste plus rien que mon imagination. Je joue sur les structures, sur les nombres, mais ces symboles me semblent tellement universels qu’ils m’intéressent moins que le fait brut qui domine ce lieu : la mort. Tu rétorqueras que celle-ci est infiniment plus universelle que ceux-là. Mais au-delà d’un certain stade, on peut dire que l’universalité atteint à l’exceptionnel. Quand un symbole se retrouve dans toutes les civilisations mortes ou vivantes, on est dans l’universel ; mais quand un fait concerne tous les individus — passés, présents et à venir — de toutes les sociétés, le caractère d’universalité s’efface devant l’absolue unicité que ce fait représente pour chacun et la façon dont chacun le concrétise.
Face à ces squelettes, à ces tombes sans le moindre ornement, je retrouve l’appréhension qui m’envahit si souvent devant un être vivant : à quoi ressemblera sa mort ? Toute cette vie, bâtie seconde après seconde, tous ces projets, ces ambitions, ces joies, ces déceptions, ces gestes, ces regards, ces pensées — quelle en sera l’ultime distillation ? Leur mort donnera-t-elle l’illusion de s’inscrire dans un continuum, dans une logique, ou rappellera-t-elle qu’elle n’est jamais qu’une ignoble rupture ?
À rebours, devant ces squelettes, j’essaie de m’imaginer quelle fut la vie de chacun de ces êtres, et quelle fut leur mort. La vaste majorité des restes humains ne présentent aucune malformation conséquente à une blessure ou à des problèmes de croissance qui pourraient laisser supposer des conditions de vie difficiles. La comparaison entre ces corps et ceux de la Cité Royale confirme la différence raciale : comme souvent, la race des seigneurs était plus grande, plus fine, alors que celle des esclaves était trapue, ne dépassant que rarement le mètre soixante pour les hommes, le mètre quarante pour les femmes. Ceci m’informe un peu sur leur vie, mais ne me dit rien de leur mort, ou sur l’existence spécifique de chacun de ces esclaves. Et tous ces orbites nus me regardent, semblant me dire : « Que veux-tu que nous t’apprenions, à toi qui n’étais pas là lorsque nous souffrions ? » Et c’est un peu, alors, comme s’ils étaient mes contemporains, ou plutôt moi le leur, mais que j’arrivais juste un peutrop tard. Comme ces gens qui vivent autour de nous mais qui, pour nous, n’existent pas vraiment. Quand ils meurent, subitement, que nous les avons à peine croisés et que nous aurions pu, qui sait, devenir leur ami, à ce moment seulement, ils prennent en nous une place — que leur absence rend envahissante, taraudante. Cet être, qui maintenant est mort, était autrefois près de moi ; je ne l’ai pas connu — et je le reconnais quand, plus jamais, il ne sera là. À chaque fois que j’ai éprouvé ce sentiment, je me suis senti idiot et coupable. Je regardais autour de moi, tous ces inconnus qui passaient et qui avaient peut-être une amitié ou ne fût-ce qu’un moment à m’offrir — tous ces signaux que nous méprisons. La mort éclate, et nos certitudes, notre ignorance. Un homme, devant nous, pleure la perte d’un de ses amis — un de nos méconnus —, qui devient du coup, pour nous, le regret d’une amitié perdue, et une preuve de notre absolue pauvreté. Ce n’était pas tout de mourir une fois ; il faut encore le remords.
Je dois t’ennuyer avec tout ceci, ou te faire de la peine. Toi qui es si vivante, si gaie… mais je sais que tu me comprends.
Je pense que, d’ici deux mois, je pourrais remettre mes conclusions à André — j’espère surtout avoir trouvé ma réponse. Après quoi, je te le promets, je ne partirai plus.
Je vous embrasse très fort.
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Samedi 23 juin 19**, Maramisa
J’ai reçu aujourd’hui ta deuxième lettre. Bien entendu, je t’encourage à entreprendre ce voyage auquel te convient les Tod. Ce sont d’excellents amis, et leurs enfants s’entendent à merveille avec les nôtres. Leur maison en Toscane est splendide, et tu y passeras un séjour idyllique — j’aimerais pouvoir être là ! Non, excuse ces paroles. Je sais que si tu me parles de ce voyage, c’est justement parce que je ne suis pas là.
J’ai fait part à André de ma conviction que le peuple de ma nécropole était différent de celui de la Cité. D’après moi, il doit s’agir d’une peuplade plus orientale, des C*** ou des B***. André m’a enjoint à ne pas divulguer encore ces conclusions, qui pousseraient le gouvernement actuel à interrompre définitivement mon chantier ; il n’apprécie déjà guère d’étudier le passé de ses parias — mais s’il s’agit d’étrangers toujours plus ou moins ennemis…
Le laboratoire ne m’a toujours pas communiqué les résultats des analyses. De toute façon, cela m’intéresse de moins en moins. Je n’ai pas besoin d’un laboratoire pour savoir qu’aucun des habitants de ma nécropole n’a dépassé quarante-cinq ans, ce qui représente somme toute une longévité assez remarquable, et que la plupart semblent avoir vécu une bonne trentaine d’années. Ceci, joint à l’absence de malformation osseuse caractéristique, écarte l’hypothèse d’un important groupe pour une période relativement courte, nécessaire à la construction de la Cité. Par rapport à ces esclaves-là, vraisemblablement à jamais disparus, les miens étaient des privilégiés, soldats, serviteurs, paysans… plutôt des serviteurs, à en juger par l’absence de tout objet professionnel.
[…]
Je passe le plus clair de mon temps à circuler entre ces tombes, à imaginer l’histoire qu’aucune analyse de laboratoire ne me racontera. Je m’éloigne des stricts buts de ma profession, et plus je m’en éloigne, plus j’ai le sentiment de me rapprocher de ces gens.
L’unique ouvrier que j’ai conservé, voyant ses loisirs augmenter, a ramené un pipeau, et il joue des heures durant des airs idiots et par là-même envoûtants. Cela contribue au décor… Je suis devant mes morts, et je pense à eux comme à des vivants ; à quoi ressemble, ou à quoi ressembla leur vie ? Sont-ils nés pour autre chose qu’accomplir cette seule tâche de mourir ? Ont-ils jamais eu véritablement d’autres ambitions que de passer ? Et quelle illusion folle les a poussés à croire à l’utilité, à l’absolue nécessité de leurs actes, donc de leur vie, ne serait-ce que par la perpétuation de celle-ci ? Quelle extraordinaire folie, et ô combien émouvante, qui pousse même tant d’entre nous à croire en une vie future !
Il faut pourtant admettre que le soleil se couche sans rien vouloir signifier, et que la souffrance est un fait brut qui ne s’accommode d’aucun mot. Les parents pensent se continuer au travers de leurs enfants, mais ceux-ci survivent parfaitement sans leurs parents.
Adjo joue de la flûte parce qu’il s’ennuie.
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Maramisa
Je suis content que tu te sois décidée à accepter l’invitation des Tod. Restez en Toscane tout l’été, il se peut que je vous y rejoigne si, comme je le pense, mon chantier prend fin bientôt.
[…]
Les dernières tombes… Une famille composée de quatre membres, semblable par le nombre à la nôtre… qui les a couchés là ? Qui a enterré les derniers fossoyeurs de cette nécropole, et dans quelle lieu ?
De quoi sont morts tous ces gens ? Un crâne fracturé ou percé d’une balle raconte une histoire, explique un cadavre. Mais quand il n’y a rien… Des cadavres en parfaite santé… Si, par exemple, j’étais mordu par un serpent et que, oublié de mes confrères, je pourrissais ici, dans une de ces tombes, qui pourrait dire, dans quelques siècles, de quoi je serais mort, et qui même penserait que je ne fais pas partie de cette population ? Si j’en partage la mort, la sépulture, pourquoi n’en aurais-je pas partagé l’existence ?
[…]
Le père — appelons-le comme ça — a perdu deux doigts à la main gauche. Une coupure nette — un coup de hache, dirait-on. Très vraisemblablement, cette ablation a eu lieu quelques années avant sa mort. Il a d’ailleurs vécu longtemps, à mon avis certainement cinquante ans. Bien plus que les autres membres de sa famille — si tant est qu’il s’agisse de familles, que cette civilisation ait connu cette structure. Sa femme n’a pas dépassé les vingt ans. Elle a eu ses enfants jeune, du moins à nos yeux. Est-elle morte en couches ?
Et son mari, là, avec deux doigts en moins… Les a-t-il perdus avant ou après le décès de sa femme ? Par accident, par punition, par auto-mutilation peut-être. Que s’est-il passé, ce jour-là, pour cet homme ?
***
Maramisa
Il n’y a toujours pas la moindre fleur pour fleurir mes tombes. On en trouve, par contre, à la Cité Royale. J’en ai volé quelques-unes pour orner le caveau de “ma” famille. Adjo m’a observé en souriant, puis a sorti sa flûte et ses notes ennuyées. Je ne m’occupe pour ainsi dire plus des autres. Je suis en train de rédiger un rapport très sérieux, que personne ne lira. Si ce pays décide un jour l’exploitation touristique de la Cité Royale, ma nécropole sera l’endroit idéal pour bâtir un hôtel, des restaurants, des parkings. Chaque jour, cependant, j’écris cinq pages, puis je me promène dans les rues sans murs de ma ville ; immanquablement, j’aboutis chez eux. Adjo le sait ; il ne vient plus le matin chercher des ordres que je ne donne plus. Il m’attend là, avec sa flûte et son ennui. Nous ne nous parlons jamais, et je ne dirai même pas qu’il existe entre nous une entente tacite ; il profite de la situation, et ne me dérange pas. Nous vivons parallèlement : à cela se borne notre entente.
Tu me parles d’une lettre que je n’ai pas reçue. Les déficiences de la poste locale jointes à celles de sa consœur italienne expliquent sans doute ce retard. Tu me demandes pourquoi je ne rentre pas de suite ? Je dois achever mon rapport, et je suis malgré tout obligé d’attendre les résultats du laboratoire. Je sais que tu es en de bonnes mains.
J’ai passé ma journée à chercher des noms pour ces quatre squelettes. Mais dois-je choisir des prénoms européens ou exotiques ? Adjo a tranché. Il me les a présentés comme s’il s’agissait de vieux amis : Qoân, Kaani : le père et la mère. Saanton et Toonya : les deux fils.
Qoân, et son accident…
Rien n’annonce un accident ; c’est du moins ce que nous croyons. Peut-être, si nous savions percevoir tous les signes qui nous entourent… et je ne parle pas de les déchiffrer… Voilà un homme qui se lève, parce qu’il est l’heure de se lever. Rien de plus. Rien de spécial. Prend-il son petit déjeuner ? Eau, pain, quelque boisson chaude ? Qu’importe. Qoân est peut-être flûtiste, comme Adjo. Qui sait s’il n’est pas le flûtiste attitré de sa communauté, jouant par là un rôle essentiel dans la vie religieuse et sociale. Mais ce jour-là, il faut aller travailler à la Cité — dans une cuisine, un jardin ? Et puis, le geste, mauvais, qui ne prend pas sa place — erreur de Qoân, distrait, ou d’un autre, maladroit, malintentionné ? et deux doigts se détachent du corps…
[…]
Dans l’instant, minuscule, entre le coup et le déchirement de la douleur, Qoân voit sans croire, sans rien comprendre sinon que le temps passe, et qu’il mourra, certainement, un jour ; qu’il y a un avant, avec dix doigts, et un après, avec huit doigts.
Qoân était flûtiste ; le voilà philosophe.
[…]
Kaani a dû mourir à l’âge que tu avais quand je t’ai rencontrée. Des milliers d’années après elle, tu as continué à vivre, à vieillir, et je la rencontre aujourd’hui, dans son éternelle jouvence… la mort est douloureuse pour ceux qui vivent.
Toonya et Saanton ont à peu près douze et quinze ans. J’essaie d’imaginer leur cris et leurs rires dans cette cité — car toutes les villes, même les plus sinistres, ont leurs chahuts enfantins. Adjo les imite parfaitement sur sa flûte, et je pourrais presque croire qu’ils m’appellent.
Les travaux de la Cité Royale avancent rapidement. Le professeur V*** est arrivé de Londres pour tenter de déchiffrer les inscriptions relevées. Il n’y a rien à lire ici, dans mon royaume, et V*** n’est même pas venu rendre une visite de courtoisie à mes morts et à leur gardien.
Quelle date sommes-nous ? J’ai perdu le fil. Tu ne m’écris plus, ou tes lettres demeurent coincées dans quelque méandre insoupçonnable de la poste. Ou bien te dis-tu que cela ne vaut plus la peine, que je serai bientôt là… Je ne sais pas. Kaani était belle, j’en suis sûr, et Saanton rêvait de quitter un jour cette ville pour partir loin de la misère — ignorant encore que la misère collait à leurs pieds, et que leur vie n’était qu’un fastidieux transport d’une chair jeune vers une chair morte. Toonya l’a compris. Tous les matins, depuis ses huit ans, il suit son père au travail — jusqu’au jour où un autre accident viendra le coucher ici, avant que la flûte de Qoân cesse de retentir. J’imagine que celui-ci fut le dernier à mourir, et qu’il eut la chance de disposer de ses dix doigts pour vous accompagner — pas dans la mort, mais dans cet étage inférieur que sont les caveaux. Et quand il se fit penseur, vos ombres lui ont reproché cette trahison. Par grands lambeaux d’espoir, cependant, il rejoignait les siens.
[…]
Je ne sais où vous êtes maintenant — mes mots et les sons de la flûte semblent ne plus vous atteindre, vous, à la fois si proches et si lointains. Et tous les jours, il me faut travailler, m’éloigner de vous, alors que j’aimerais être là, tout proche, comme nous nous l’étions promis — mais il y a la mort qui me hante, tu le sais, et son ombre sur tout.
Dans combien de temps pourrais-je vous rejoindre ?
[…]
Je n’ai plus écrit depuis longtemps, excuse-moi. En travaillant, l’autre jour, je me suis blessé à la main droite, une entaille profonde qui a nécessité un imposant bandage, ennemi de tout stylo. Adjo m’a soigné, pas seulement en jouant de la flûte. Ce matin, il m’a ôté le bandage avec une langoureuse mélopée. Je n’ai pas eu mal. Je m’empresse de vous écrire, bien que je vous sente si proches de moi — et si lointains à la fois.
Adjo ne me quitte plus. De jour et de nuit, il est là près de moi, qui me veille et m’observe. Il me parle de Qoân et de sa famille en épiant mon regard avec une telle intensité qu’il m’arrive de croire qu’il y puise l’essence de ses récits. Il évoque ma famille avec une telle force, une telle présence que, tant que ma main était handicapée, je n’ai pas souffert de ne pouvoir vous écrire, pas plus que de ne plus rien lire de toi. Adjo me rassure, je sais que tu es avec les enfants, heureux tous trois, que vous ne manquez de rien et que le vent sûrement vous fait comprendre combien je pense à vous.
Le soleil se couche sur mon triste royaume, si beau dans cette agonie de feu qui refroidit la terre.
[…]
***
Mon amour,
j’ai peur. Tes lettres m’effraient, et l’ombre qu’elles transportent, venue de Maramisa, et tous ces fantômes en ses flancs… Tu m’avais dit que, là-bas, tu retrouverais vie et espoir : tu n’as retrouvé que la mort, et tu t’y enfonces comme à délice…
Tes premières lettres seules, les toutes premières, laissaient espérer que tu n’oubliais pas pourquoi tu étais parti — mais là même, ce n’était qu’allusions. Depuis, tu as oublié petit à petit, pour t’engloutir dans le royaume de la mort, que pourtant tu voulais fuir et dont tu voulais triompher en acceptant l’invite d’André. Je ne suis pas Kaani. Je suis ta femme.
Depuis que mes lettres tentent de te rappeler les raisons de ton départ, tu feins de ne plus les recevoir. Je sais que tu mens. André m’a écrit, ton état l’inquiète aussi. Il ne sait pas ce qui a véritablement motivé ta venue à Maramisa. Je ne lui ai encore rien révélé, mais si tu ne réagis pas, je lui dirai tout, j’y serai contrainte. Je ne veux pas te perdre — nous avons assez souffert. Ne me dit pas que Toonya et Saanton sont de splendides adolescents. Je suis seule ici — Samuel et Thomas, nos fils, sont morts tous les deux. Écrasés dans ma voiture, par un arbre arraché par le vent, à l’entrée de notre maison.
Mais nous vivons, toi et moi.
Reviens.
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Adjo a trouvé sur sa flûte des sonorités si étranges que, depuis plusieurs jours, je n’ai plus travaillé, me contentant de l’écouter, les yeux clos, comme un monarque décadent refusant de voir ses domaines réduits au pillage.
Je vous aime tant…
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Maramisa, mercredi 17 juillet 19**, Cité Royale, chantier A
Sophie,
votre lettre me dévoilant la vérité sur votre drame familial m’a bouleversé, et a éclairé brutalement celui que, depuis le premier jour de son arrivée à Maramisa, Charles a bâti.
Je ne sais comment dire…
Depuis plusieurs jours, Charles, avec son unique ouvrier, un certain Adjo, a entrepris de refermer toutes les tombes de cette pauvre nécropole à laquelle il s’est consacré. Étant donné l’immensité de notre tâche, à la Cité Royale, et, il faut l’avouer, le peu d’intérêt marqué par nos pourvoyeurs de fonds pour le chantier B, nous ne nous en sommes pas inquiétés.
Avant-hier, dans la nuit, les premières tempêtes de la mousson se sont abattues sur nous. La forêt qui nous entoure a jeté sur nos travaux des troncs et des branches innombrables. Le chantier de Charles a particulièrement souffert, mais votre mari ne semblait guère troublé, comme s’il avait compris que les autorités locales ne débloqueraient jamais les crédits nécessaires pour cette partie des fouilles.
Votre lettre m’est parvenue avec une effroyable averse. Dès qu’elle eut pris fin, je me suis précipité au camp B. Le site, fort affaibli par des travaux qui l’ont privé des défenses mises au point au long des siècles pour se prémunir au mieux des calamités naturelles, est dans un état épouvantable.
À mon arrivée, bien que je ne visse personne, un air de flûte triste, lugubre et lancinant, s’enroulait autour du vent et des longues langues de pluie. Le campement où Charles et son ouvrier s’étaient installés était pratiquement détruit. La flûte se tut.
J’ai appelé et cherché en vain, pendant des heures, aidé par toute une équipe. Nous n’avons retrouvé ni Charles ni Adjo. La pluie et nos propres travaux ne nous permettront pas de faire de plus amples recherches avant la fin de la mauvaise saison. Et j’ignore où se trouve cette tombe de Qoân, dont vous me parlez. Il y en a plusieurs centaines…
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Éteins ta flûte, Adjo, éteins le monde. Je vous ai retrouvés, je vous suis revenu.