
La Chronique des Gestes Royaux note que Gaalon fut, de tous les Rois de Maramisa, le plus grand et le plus sage. Pourtant, de tous les Rois de Maramisa, il fut aussi le plus triste.
Sous son règne, Maramisa connut l’apogée de l’Ère de la Splendeur. Commerçants, savants et élèves vinrent de toutes les lumières de l’horizon pour se nourrir des richesses prodiguées, tant à l’esprit qu’au corps, au sein de la Cité Royale de Maramisa. L’École du Secret Léger, créée par Daabon, le grand-père de Gaalon, connut ses heures les plus glorieuses sous ce règne. C’est à cette même époque que les Savants Suprêmes établirent les Modes du Monde et du Ciel, que les Scribes Patients entreprirent la rédaction du Recueil des Légendes et réformèrent, en accord avec les Prêtres et le Roi, la graphie de la Langue Ancestrale afin de la rendre plus accessible à chacun sans toucher, toutefois, à sa puissance et à sa sacralité.
Ce fut une ère de paix, et de nombreux contacts se nouèrent avec les voisins, même ceux qui, jadis, avaient été les ennemis plus ou moins avoués de Maramisa. Sur les frontières, on vit des places fortes devenir des comptoirs commerciaux ; des caravanes se mirent à sillonner les routes inconnues ; et des profondeurs du lointain, arrivèrent des convois chargés de produits insoupçonnés qu’en d’incompréhensibles langues vendaient des êtres souriants aux visages dont les couleurs et les grimaces plongeaient les enfants étonnés dans d’irrésistibles fous rires, et faisaient frissonner malgré eux les vieillards.
Rien de tout cela n’aurait été possible sans Gaalon. Il sut convaincre les réticents, vaincre les obstacles de toutes sortes et susciter chez chacun les rêves qui sommeillaient. Il apprit à son peuple où trouver, en soi, la force et la volonté de les concrétiser. Il mit d’ailleurs à cette tâche un zèle extrême, harcelant les indécis et n’ayant de trêve que les projets les plus intéressants vissent le jour par le fait de ceux qui les avaient formulés. La Chronique raconte qu’il n’hésita pas à sermonner sévèrement et devant une vaste assemblée son propre neveu, venu solliciter auprès de lui le droit de renoncer à la direction d’un important chantier, sur les frontières sud, projet qu’il avait pourtant farouchement défendu quelques mois auparavant :
— Vous êtes responsables de vos rêves, et vous n’avez ni le droit ni les moyens de juger si l’avenir de Maramisa n’en dépend pas. Il ne s’agit pas de vous ; chaque rêve, si humble soit-il, si égoïste paraît-il, implique le Royaume tout entier si tôt qu’il quitte les cieux des songes pour pénétrer les plaines des hommes.
Et le neveu, en s’excusant, était retourné travailler.
Pourtant, Gaalon n’était pas un Roi heureux. Ou plutôt, il n’était pas heureux d’être Roi.
Il n’aurait d’ailleurs pas dû l’être. Son frère aîné, Doobin, aurait dû, en bonne logique, succéder à leur père, et après lui, ses propres enfants. Mais un vent néfaste avait voulu que la voiture qui ramenait le Roi et son fils versât dans un ravin, à la suite d’une mauvaise manœuvre du chef d’attelage à qui un fauve effrayant était venu barrer la route. Le soir même, un cavalier venait porter la double nouvelle : le décès du Roi et du Prince héritier et, du coup, l’accession au Trône Ancestral du fils puîné, Gaalon. Double nouvelle, double désespoir pour le jeune homme qui avait juste vingt ans. Son cœur lui criait de refuser cette tâche à laquelle il n’avait pas été préparé et qui exigerait de lui qu’il sacrifiât tous ses rêves. Mais la raison et le sens du devoir, l’amour instinctif qu’il portait à sa famille et au rôle qu’elle jouait depuis toujours dans la destinée de Maramisa, lui firent renoncer, non sans mal, à ses désirs.
Sa mère, que le désespoir avait rendue presque diaphane, l’aida à prendre sa décision. Après avoir évoqué le travail entamé par son père, qu’il fallait à présent parachever, et la nécessité de ne pas laisser s’éteindre la Dynastie Ancestrale, elle eut cette phrase que Gaalon n’allait jamais oublier :
Un Roi est nécessaire à une Cité, bien plus que l’inverse. Il n’est élu par personne et ne doit donc en rien négocier son pouvoir. Il n’a pas choisi de régner ; c’est la meilleure façon de compenser le pouvoir de ceux qui ont pour but de diriger le monde, et qui sont toujours, d’une façon ou d’une autre, redevables à d’autres de cette fonction à laquelle ils ont aspiré.
Gaalon devint Roi, et personne, jamais, ne l’entendit parler de son rêve le plus intime.
Depuis sa plus tendre enfance, en effet, Gaalon nourrissait un projet qui, d’année en année, n’avait fait qu’occuper davantage ses pensées sans, pourtant, qu’il s’en ouvrît à quiconque. Il avait toujours été fasciné par les récits que les voyageurs, Maramanis ou étrangers, rapportaient au Roi de leurs périples et des terres qu’ils avaient visitées. Très tôt, il avait ainsi appris qu’au-delà des horizons brillaient d’autres contrées, d’autres royaumes, d’autres cités pour qui Maramisa n’existait pas, où l’on ne parlait pas la même langue et où l’on ignorait tout des Histoires Ancestrales et Nouvelles comme de la Chronique. Si telle était la vérité pour un habitant de Maramisa, il devait en aller de même pour les êtres vivant là-bas. Mais jusqu’où ? Cette vérité valait-elle à l’infini, ou existait-il des pays dont un horizon ou plus demeuraient muets ? On savait, certes, qu’il y avait d’immenses étendues désertes, mais toutes celles que l’on connaissait prenaient fin sur des régions habitées plus ou moins accueillantes.
Sur cette question, les livres sacrés ne disaient rien et les rares savants et prêtres qui s’y intéressaient se contredisaient sans cesse. Le jeune Prince s’étonnait depuis toujours du silence des livres et du bavardage des hommes. Ni l’un ni l’autre ne le satisfaisait, mais jamais il n’avait osé faire part de cette insatisfaction qui aurait pu passer pour sacrilège venant d’un Prince. Petit à petit, grandit donc le besoin d’une réponse tangible et définitive. Gaalon penchait secrètement pour l’hypothèse d’un monde fini, d’une façon ou d’une autre ; il ne parvenait pas à concevoir ce que pourrait être l’infini et trouvait en outre cette idée effrayante, parce que trop voisine de celle de la mort. La terre était le lieu de la vie des êtres, elle ne pouvait qu’être à l’image de celle-ci, marquée par un terme précis. Gaalon, enfant, s’était juré de partir à la recherche de cet endroit où le monde mourait.
Devenu Roi, il dut faire le deuil de ce rêve autant que de son père et de son frère. En acceptant cette mission, il savait que jamais plus il ne quitterait les murs ancestraux de Maramisa ou, au mieux, les frontières du Royaume, minuscules aux côtés de cette carte qu’il dessinait dans le secret de sa solitude. Mais il voulut être le seul, dans Maramisa, à devoir sacrifier son rêve ; c’est pourquoi il mit tant de volonté à ce que chacun réalisât les siens.
Il ne révéla jamais sa passion. Mais il écoutait avec une attention toujours croissante au fur et à mesure que, grâce à sa politique, s’étendait la surface du monde connu, les récits des étrangers et les rapports des Maramanis rentrés d’expédition. Il faisait dresser de nouvelles cartes sans cesse comparées aux anciennes, en vue de les corriger et de les améliorer.
Plus le temps passa, plus Maramisa prospérait et louait son Roi, plus les frontières des horizons inconnus reculaient, plus Gaalon désespérait. Bien qu’il fût toujours demeuré aussi silencieux sur son rêve enseveli, il ne put, avec l’âge, se défendre d’écouter les récits de voyage avec plus d’anxiété. Toutefois, comme la quête qui nourrissait cette angoisse n’était partagée par personne, ou peu s’en faut, à Maramisa, nul ne s’en rendit compte. Au pire, on prit cette attention pour une soif d’évasion ou de voyage que la paix et la royauté ne permettaient guère au Roi.
Il advint pourtant qu’un jeune homme, malin et intrigant, eut une intuition différente et voulut en avoir le cœur net.
Kaniik, tel était son nom, avait eu dix-neuf ans alors que Gaalon fêtait ses quarante années de règne. Fils d’un important marchand, il avait ses entrées au Palais et fréquentait de jeunes membres de la famille royale. Il cultivait tout particulièrement l’amitié d’un des fils du Roi, afin de réaliser son projet : vivre riche sans travailler. Une telle aspiration était pour ainsi dire inconnue à Maramisa, et elle n’aurait pas manqué d’être réprouvée avec sévérité si Kaniik s’en était ouvert. Depuis quelque temps, dès lors, il recherchait le moyen d’arriver à ses fins en donnant à chacun l’illusion d’avoir mérité la richesse qu’il convoitait, comme il était de règle à Maramisa.
Il perçut l’attention particulière que le Roi portait aux récits des voyageurs du lointain et, patient, il prit le temps de préciser son impression. Par des attentions, quelques petits cadeaux, il développa ses liens avec Doolun, le fils du Roi avec lequel il entretenait des relations nouées lors de ses études. Doolun était aussi gentil que naïf. Grâce à lui, Kaniik put à plusieurs reprises rencontrer le Roi en dehors des séances publiques et protocolaires. La première fois que Doolun présenta son ami à son père, ce dernier demanda, selon son habitude :
— Que comptes-tu faire de ta vie ?
Aussitôt, Kaniik répondit :
— Voyager !
Et il perçut, dans les yeux du Roi, un éclat qui lui confirma son intuition.
— Dans quel but envisages-tu de voyager ? questionna encore le Roi.
Kaniik resta prudent :
— Pour découvrir de nouvelles régions et accroître le commerce et le renom de notre Royaume, répondit-il sans baisser les yeux.
L’éclat disparut dans les pupilles de Gaalon et Kaniik comprit que là n’était pas l’aspiration du Roi.
Il mit tout son zèle à multiplier ces entrevues privées et redoubla d’attention lors des séances publiques au cours desquelles le Roi prenait connaissance des rapports des voyageurs. Mais ce fut Gaalon lui-même qui finit par livrer l’indice qui manquait à Kaniik.
En effet, un jour que le Prince et son ami devisaient dans les jardins du Palais, le Roi, pris de mélancolie, les croisa et se souvint des desseins du jeune homme.
— Hé bien, toi qui rêves de voyager, dis-moi, jusqu’où espères-tu que te mèneront tes pas ?
Kaniik devina subitement l’aspiration secrète du Roi :
— Aussi loin que me le permettront les horizons, répondit-il.
Et il ajouta, lorsqu’il eut perçu dans le regard royal la lueur qu’il guettait depuis longtemps :
— Je voudrais tant découvrir si ces horizons peuvent se toucher, ou s’ils ne sont que des chimères à nos yeux.
— Il me plairait que tu viennes présenter ce rêve devant le Conseil des Projets, murmura le Roi d’une voix trop émue pour laisser le moindre doute au jeune intrigant.
Il ne tarda pas à obéir au désir royal. Quelques jours plus tard, il défendait avec fougue, devant le Conseil, le projet de partir découvrir si la terre était ou non finie. Le scepticisme le plus général qui accueillit cette idée se mua en stupeur lorsque le Roi, contrairement à un usage jamais démenti, intervint dans la délibération des Sages pour accorder à ce projet des fonds sans précédent pour une expédition. Personne n’osa contester la décision et Kaniik, jubila, fêta longtemps, ce soir-là, son éclatant triomphe.
Durant les jours qui suivirent, il prépara avec soin son expédition et fit croire qu’il partait pour une longue et périlleuse errance. Personne ne songea un instant que le matériel et les vivres qu’il embarquait pouvaient aussi bien, sinon mieux, servir dans quelque demeure lointaine et confortable que sur des routes inconnues et dangereuses.
Une foule considérable de curieux vint se presser dans les rues de Maramisa pour assister au départ de l’expédition, dont le prestige tenait à l’intérêt que le Roi lui avait accordé, intérêt qui contrastait autant avec ses habitudes qu’avec celles d’une Cité pour laquelle une telle quête n’avait jamais semblé digne d’intérêt. Derrière une fenêtre du Palais, le Roi aussi regarda s’en aller le convoi, à la tête duquel paradait Kaniik. Le cœur de Gaalon était partagé entre la peur, le regret et la joie, comme il arrive lorsqu’un trop vieux rêve s’ébroue et menace de se réaliser.
Kaniik laissa derrière lui Maramisa. Il avait méticuleusement préparé son imposture. Les quelques hommes qu’il emmenait avec lui étaient des complices sans envergure, prêts à tout pour le seul plaisir d’amasser des richesses sans trop se fatiguer. Kaniik était bien informé ; il savait qu’aux confins des terres connues, vers le couchant, se dressaient de vastes domaines abandonnés depuis que les Guerres du Froid avaient chassé les habitants de ces contrées. Nul n’y était jamais retourné. Depuis, les Maramisa évitaient de lancer des expéditions dans cette région et peu de caravanes étrangères venaient de ces horizons. C’était dans un de ces domaines que Kaniik partait s’installer avec ses comparses.
De là, des mois durant, tandis que le groupe s’installait confortablement et menait une existence oisive, Kaniik expédia les rapports les plus fantaisistes au Roi, décrivant des peuplades jamais entrevues et des contrées jamais traversées. Il demanda encore de l’or, jusqu’au jour où, estimant ses richesses suffisantes, il mit en marche l’ultime étape de son plan : ses rapports s’espacèrent et décrivirent une réalité de plus en plus difficile. Il y prétendait que ses hommes étaient décimés par la maladie et les peuplades hostiles. Lui-même se prétendait mourant. Enfin, il ne recula pas devant le pire pour parachever son leurre : il écrivit une lettre pathétique où il annonçait sa fin prochaine et inéluctable, lettre qu’il confiait au dernier de ses compagnons. Il partit avec un homme jusqu’à une route qu’empruntaient les rares caravanes en chemin vers Maramisa, celles-là mêmes qui avaient toujours servi de relais pour ses messages. Mais alors que, d’habitude, il payait le chef du convoi pour qu’il raconte que ce message lui venait de plus loin ou qu’il recourait à quelque stratagème pour le faire accroire, cette fois, il tua en traître son compagnon, en lui faisant boire un violent poison. Il l’abandonna au milieu du chemin, avec la lettre bien en vue dans sa main crispée.
La nouvelle plongea le Roi dans un profond désespoir. Il s’en voulut d’avoir sacrifié à son rêve la vie de tant d’hommes et les richesses du Royaume. Il s’enfonça dans une mélancolie qui inquiéta ses proches.
Plusieurs d’entre eux avaient, dès l’abord, ressenti de la méfiance à l’encontre du jeune homme. Mais ils n’avaient pas osé en faire part au Roi, tant celui-ci semblait passionné par cette quête. Ils n’en étaient pas pour autant demeurés inactifs. Ils s’étaient penchés sur les messages, avaient étudié les faits et les plans qui y figuraient, et ils s’étaient étonnés de ce que la majorité de ces messages avaient été confiés aux caravanes dans une même région. Un chef de convoi questionné habilement avait reconnu avoir été payé pour mentir par un inconnu qui leur avait remis ce message. Ils furent alors convaincus que Kaniik abusait le Roi. Et lorsque parvint l’ultime lettre, ils lancèrent en secret une expédition bien armée pour ramener l’imposteur.
Cette troupe ne tarda pas à retrouver la trace de Kaniik et de ses hommes. Quelques semaines après leur départ, ils revenaient triomphalement à Maramisa, suivis par Kaniik et ses comparses enchaînés. Tous furent jetés en prison, et l’on prépara leur procès.
Gaalon avait été effondré en découvrant l’ampleur de la trahison, et combien son rêve l’avait mené à être dupe. Tout le monde s’attendait à ce que le coupable soit châtié sans pitié avec ses comparses, et l’on prédisait même la mort pour Kaniik qui n’avait pas reculé devant le meurtre pour réaliser sa forfaiture. Aussi, aucune des personnes habilitées à assister aux Heures de Justice Royale durant lesquelles étaient jugés les délits les plus graves, ne manqua la séance au cours de laquelle comparut Kaniik.
Ce fut un homme méconnaissable que l’on traîna aux pieds du Roi. Plus que ses vêtements en lambeaux, son visage était marqué par l’échec de ses ambitions. Nul pourtant, dans l’assemblée, n’eut pitié de lui, à commencer par Doolun, qui devinait que Kaniik n’avait recherché son amitié que par calcul, et qui se reprochait d’avoir été un instrument dans le piège tendu à son père, dans le premier faux pas d’un règne parfait.
Le visage de Gaalon était tendu et pâle, ses mâchoires crispées retenaient une sentence impitoyable que chacun espérait. On fit agenouiller Kaniik devant le Roi qui le dévisagea longuement. Le jeune homme tremblait ; lui qui avait voulu mener une existence fastueuse et sans peine, attendait que, des mêmes lèvres qui lui avaient offert les moyens de mettre sa supercherie en œuvre, soient prononcés sa condamnation à mort. Enfin, après un insupportable silence, le Roi prit la parole :
— Kaniik, jamais Maramisa n’a connu pareille trahison. Même les traîtres qui ont assassiné Daabon et usurpé le Trône Ancestral n’étaient pas aussi abjects que toi qui n’hésitas pas à tromper tout le monde et à sacrifier une vie. Tu mérites un châtiment exceptionnel.
À ces mots tant attendus, la foule frémit.
— La Loi des Destinées te condamne sans discussion à la mort, et tes compagnons de même.
Un frisson étrange et un peu malsain parcourut l’assemblée qui sursauta lorsque le Roi, d’une voix d’une exceptionnelle lenteur et gravité, poursuivit :
— Mais la Loi ne retient que les faits qui la concernent, comme un enfant qui n’a d’yeux que pour l’océan et qui boude le spectacle des ruisseaux. La Loi veut, avec, je le suppose, l’accord de tous les Maramanis, vous ôter le souffle et vous rendre à votre ombre. Et vous le méritez. Pourtant, je choisis une fois encore d’user de mon pouvoir pour vous gracier, car c’est moi qui déjà vous ai donné les moyens de commettre votre forfait.
Une rumeur stupéfaite s’empara de la salle, que Gaalon fit taire d’un revers de la main.
— Silence… Je suis plus coupable de Kaniik. On ne peut reprocher au jeune tigre de manger la proie que sa mère lui tend. Depuis toujours, je nourrissais un rêve que jamais je n’ai pu accomplir. Je l’ai confié à Kaniik. Mon tort et mon malheur furent de n’avoir pas appliqué à moi-même les principes que j’ai imposés aux autres. Comme il est vrai pour chacun, j’étais le seul à pouvoir réaliser mon rêve.
Kaniik, la tête toujours baissée, n’osait croire à la chance qui, une fois encore, lui souriait, et il se demandait si le Roi ne se moquait pas de lui.
— Ce rêve qui joue dans mes pas depuis mon enfance, je ne pourrai sans doute plus le réaliser pleinement et en faire profiter Maramisa ; mais il n’est pas trop tard pour essayer, puisque j’ai encore la force de me mettre en route. Quant à toi, Kaniik, puisqu’il faut malgré tout que justice soit faite pour la mort d’un innocent, je te condamne à retourner avec tes hommes dans ces domaines abandonnés, et à passer votre vie à les rendre à nouveau fertiles et hospitaliers.
C’est ainsi que Kaniik et ses comparses échappèrent à la mort et que Gaalon remit le Trône Ancestral à son fils aîné, Orsar. Puis, accompagné de quelques fidèles, il se mit en route vers les horizons de son enfance. Nul, jamais, n’entendit plus parler de cette maigre troupe de vieillards. Il fut le seul Roi légitime de Maramisa dont l’ombre ne connut pas la purification dans les murs de la Cité Royale.